L’armée et le Nouveau Testament : Les adventistes devraient-ils s’engager dans l’armée ?

De nombreux adventistes du septième jour expriment aujourd’hui le désir de porter les armes dans le cadre d’un engagement militaire actif. Doit-il en être ainsi ? Dans cet article, je m’attacherai à montrer que la réponse est clairement négative, en rappelant la position officielle de l’Église sur le refus du combat et du port d’armes1. Pour ce faire, je replacerai la question de l’engagement militaire dans le contexte des enseignements du Nouveau Testament concernant le lien avec les autorités civiles. Cette réflexion est importante dans la mesure où l’attitude des chrétiens concernant le port d’armes n’est qu’un aspect de leur approche de la relation entre le royaume de Dieu et l’État. Je montrerai que le Nouveau Testament invite les chrétiens à accorder la priorité à leur identité de citoyens du royaume de Dieu et non à leur engagement vis-à-vis des royaumes de ce monde. Les chrétiens ne sont jamais appelés à donner leur vie pour l’État, cet engagement étant réservé au royaume de Dieu.

Le Nouveau Testament ne traite pas directement les questions relatives au refus de combattre. Il ne parle pas de la façon dont les chrétiens devraient agir quand ils se trouvent en position de contrôler des ressources militaires. Il ne mentionne pas non plus la question des interventions militaires effectuées dans un but humanitaire. Ainsi, les lecteurs du Nouveau Testament doivent identifier les principes bibliques universels qui permettent de les guider en de telles situations. Ces principes sont notamment les suivants :

  1. Jésus est venu sur la terre pour sauver, et non pour détruire (voir par exemple Luc 1.69 ; 2.11 ; Jean 3.16 ; 4.42 ; Philippiens 3.20).
  2. Nous n’avons pas à rendre la justice nous-mêmes, c’est le rôle de Dieu (voir Romains 12.19-21).
  3. De nombreux textes recommandent aux chrétiens de ne pas avoir recours à la vengeance, sans donner de détails concernant un contexte spécifique (voir Romains 12.19-21 ; 1 Thessaloniciens 5.15 ; 1 Pierre 3.9)2.
  4. Les chrétiens sont invités à faire allégeance à la famille de Dieu plutôt qu’aux royaumes de ce monde (voir Éphésiens 3.14,15).
  5. Refuser de faire usage de moyens militaires permet d’encourager les royaumes de ce monde à accepter la souveraineté du Fils de l’homme (voir Matthieu 28.16-20).
  6. Nous devons éviter d’agir dans un pays d’une façon qui pourrait compromettre le témoignage des croyants dans un autre pays (voir 1 Thessaloniciens 4.9-12).

LE CHRÉTIEN ET LES AUTORITÉS CIVILES

Le Nouveau Testament propose de nombreux enseignements sur la relation entre les chrétiens et l’État. Je débuterai par les positions positives et je terminerai par les positions négatives, puis j’en tirerai des conclusions concernant le service militaire.

  1. Les autorités civiles peuvent être une force pour le bien.Certains passages du Nouveau Testament présentent les autorités civiles de façon très positive. Le texte de Romains 13.1-7 est certainement l’exemple le plus souvent cité. Dans le monde chrétien occidental, l’Église a souvent utilisé cet argument pour justifier la position d’autorité de l’Église dans le monde sécularisé3. Les autorités dirigeantes ont été instituées par Dieu pour punir les mauvais agissements et approuver les bons comportements (Romains 13.1-3). S’opposer à ces autorités dirigeantes signifie s’opposer à Dieu. C’est la raison pour laquelle ces autorités portent l’épée et accordent des récompenses (versets 3 et 4). À trois reprises, Paul parle des autorités en utilisant des termes relatifs au service et à la prêtrise (diakonos, Romains 13.4 ; leitourgoi, Romains 13.6)4. Ces serviteurs de Dieu font la distinction entre le bien et le mal non pas en fonction de la loi révélée, mais selon la loi de la nature5. Par conséquent, nous ne devons pas obéir aux autorités par peur, même si cela est implicite en raison de la mention de l’épée, mais nous sommes appelés à obéir parce que notre conscience nous y pousse (13.4,5). Parce que les autorités sont au service de Dieu, nous devons payer des impôts et des taxes aux autorités, et les honorer (verset 7).

    Le texte de Romains 13.1-7 a souvent été utilisé par les autorités au pouvoir pour défendre « un asservissement abject aux autorités politiques considérées comme étant virtuellement divines et encourageant la soumission sur la base de la promotion de la justice6 ». Durant la guerre d’Indépendance des États-Unis (1775-1783), de nombreux loyalistes ont fait référence au texte de Romains 13.1-7 pour justifier le fait que les citoyens devaient obéir aux autorités coloniales7. Les personnes hostiles aux autorités dirigeantes ont proposé des interprétations plus nuancées de ce passages de l’épître aux Romains, ce qui leur a permis de justifier la désobéissance civile. Elles citaient souvent les paroles de Pierre et des apôtres – « il faut obéir à Dieu plutôt qu’à des humains » (Actes 5.29)8 – pour montrer que l’obligation d’obéissance est nuancée par d’autres textes bibliques. Ils s’appuyaient généralement sur les enseignements des Réformateurs protestants, qui avaient dû s’opposer à l’emploi du texte de Romains 13.1-7 par les autorités catholiques pour justifier la soumission des protestants9.

    En raison du grand nombre d’interprétations erronées, beaucoup de spécialistes des écrits de Paul ont renoncé à considérer le message de Romains 13.1-7 comme un principe universel selon lequel il serait nécessaire de faire preuve d’une obéissance systématique aux autorités civiles. Au contraire, ils considèrent ce texte comme un conseil spécifique donné aux croyants de Rome dans des circonstances particulières. Ils évoquent le contexte du passage pour justifier ce changement d’interprétation. Selon eux, le texte de Romains 12.14-21 encourage les lecteurs à ne pas avoir recours à la vengeance, faisant donc écho aux enseignements de Jésus dans le Sermon sur la montagne10. L’une des hypothèses est que l’apôtre Paul fait référence aux enseignements de Jésus dans Romains 12 et 13.8-10 pour recommander aux croyants de Rome de se dissocier des juifs romains qui pouvaient causer des problèmes aux autorités par solidarité vis-à-vis de leurs compatriotes palestiniens. Rome venait d’expulser les chrétiens de la ville en raison d’émeutes fomentées « par Chrestus11 ».

    Le point commun de ces liens historiques est le désir d’éviter d’interpréter le texte de Romains 13.1-7 comme une déclaration universelle et normative concernant l’attitude des chrétiens vis-à-vis des autorités civiles, et de le considérer plutôt comme un message spécifique destiné à l’Église de Rome qui se trouvait alors dans une position bien particulière. Cependant, le sentiment de gêne que nous éprouvons lorsqu’il est fait mention de règles générales et d’applications universelles ne doit pas nous faire oublier le fait que le texte de Romains 13.1-7 décrit les autorités civiles de manière très positive. Cela permet d’échapper au phénomène tout aussi dangereux de la défaillance totale et dramatique de la loi et de l’ordre, comme cela s’est récemment passé en Irak et en Syrie.

  2. Les autorités civiles ne sont pas monolithiques ; elles ont des bons et des mauvais côtés.Cela apparaît clairement dans le livre des Actes où aucun groupe ethnique ou social n’est universellement bon ou mauvais. Les autorités juives ont persécuté les premiers disciples de Jésus, elles ont tué Etienne et l’apôtre Jacques, et elles ont mis en prison bien d’autres disciples (Actes 7.54 – 8.3 ; 12.5)12. Cependant, quand le Sanhédrin a voulu tuer Pierre et Jean, Gamaliel – qui était Pharisien – a pris leur défense et a convaincu les autorités d’ajourner leur jugement (5.34-39). Toutes les autorités juives n’étaient pas hostiles au mouvement chrétien13. Certains représentants des autorités romaines sont présentés en des termes positifs dans le livre des Actes14. Un chapitre et demi est consacré au récit de la conversion du centurion romain Corneille (10.1 – 11.18), ce qui est le signe qu’il avait une grande importance en tant que représentant de Rome. Plus tard dans le livre des Actes, un tribun militaire et ses soldats sont intervenus pour sauver Paul de la colère d’une grande foule (21.26-36). Les mêmes autorités qui ont crucifié Jésus pouvaient, dans d’autres situations, offrir leur soutien et leur protection.

    La leçon que nous pouvons en retirer est le fait que les royaumes de ce monde ne sont jamais totalement bons ou mauvais. Ainsi, les individus travaillant pour les autorités doivent être considérés au cas par cas. Cette attitude charitable vis-à-vis de « l’autre » disparaît souvent en cas de tensions et de guerres, quand les oppositions sont l’objet d’actions de propagande destinées à rallier un soutien pour une intervention militaire. Les chrétiens doivent se souvenir que des enfants de Dieu se trouvent dans tous les gouvernements et dans tous les pays.

  3. Jésus désire que ses disciples rendent à César ce qui est à César.Les paroles de Jésus relatées dans Marc 12.17 (voir aussi Matthieu 22.21 et Luc 20.25) sont souvent citées pour affirmer que les chrétiens doivent soutenir pleinement l’État. En répondant ainsi à la question relative au paiement de l’impôt à César, Jésus ne voulait pas dire que nous devrions toujours donner à César ce qu’il réclame. Il ne voulait pas non plus dire que nous ne devrions jamais accepter ses demandes. Certaines choses appartiennent en effet à César. Jésus cherchait à contredire ceux qui voulaient le mettre à l’épreuve « en le contraignant à décider ce qui appartenait à César et ce qui appartenait à Dieu15 ». De façon délibérée, il n’a pas précisé ce qui était à César et ce qui était à Dieu. Définir un principe éthique ou une ligne d’action en fonction de cette déclaration de Jésus reviendrait donc à prendre sa place et à déterminer quelle est la limite entre les choses de Dieu et les choses de César.

    En définissant ce qui appartient à César, nous devons nous souvenir que Jésus avait recommandé à ses disciples de se distinguer des Gentils dont les dirigeants agissaient « en seigneurs » et faisaient « sentir leur autorité » (Marc 10.42). Les paroles de Jésus vont donc à l’encontre de l’usage de la force pour maintenir l’ordre de façon tyrannique. Ses disciples doivent éviter d’exercer le moindre pouvoir de cette manière et, par conséquent, d’aider autrui à diriger ainsi.

  4. Dieu gouverne la nation par l’intermédiaire de ses disciples.Nous trouvons une autre position dans le Nouveau Testament, selon laquelle les disciples de Jésus sont eux-mêmes des autorités légitimes, contrairement aux autorités illégitimes de l’époque. C’est notamment le cas de l’évangile de Luc dans lequel Jésus cherche à établir un nouveau mode de gouvernement pour Israël. Il nomme deux groupes distincts : l’un constitué de douze apôtres, et l’autre formé de soixante-dix (soixante-douze) disciples choisis pour être ses représentants (Luc 6.12-16 ; 10.1)16. Le chiffre douze évoque les douze fils de Jacob (Genèse 35.22-26) et le chiffre soixante-dix rappelle les soixante-dix anciens d’Israël qui avaient accompagné Moïse et Aaron pour conclure une alliance avec Dieu (Exode 24.1,9)17. Le Sanhédrin de Jérusalem comptait soixante et onze membres (soixante-dix anciens plus Moïse)18. En appelant douze disciples puis soixante-dix disciples, Jésus proposait en effet un système de gouvernement alternatif pour Israël.

    Dans Luc 12.32, Jésus encourage les douze disciples à ne pas avoir peur, car le royaume de Dieu est à eux. Ceci est confirmé dans le récit de Luc concernant le dernier repas du Seigneur : « C’est pourquoi je dispose du Royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en ma faveur.19 » Les douze disciples devaient juger les « douze tribus d’Israël » en tant que dirigeants placés sous la direction de Jésus, qui avait lui-même reçu le royaume de la part de son Père (22.29,30). Il n’y a aucune raison d’interpréter ces paroles sur un plan purement spirituel. Jésus demandait à ses disciples d’être les véritables juges d’un royaume réel, Israël20.

    Ce texte de Luc sur la souveraineté de Jésus signifie que les chrétiens doivent se demander si leur pays a accepté la souveraineté de Jésus avant de se hâter à le défendre. Les chrétiens ont avant tout une responsabilité vis-à-vis du royaume de Dieu, un royaume qui exerce sa souveraineté sur les royaumes de ce monde21. Si notre royaume terrestre n’accepte pas la souveraineté du Fils de l’homme, alors défendre un tel royaume ne relève pas de la responsabilité principale des chrétiens. Cela reviendrait en effet à défendre un royaume rebelle au royaume de Dieu.

  5. Les bons royaumes peuvent avoir des caractéristiques mauvaises.Le Nouveau Testament nous recommande aussi de nous méfier des royaumes de ce monde, car ils ont souvent des caractéristiques semblables à celles des bêtes décrites dans le texte biblique. Daniel 7 décrit les royaumes de Babylone, de Perse, de la Grèce et de Rome en les comparant à des bêtes agressives parce qu’ils cherchent à se renverser les uns les autres et à renverser le peuple de Dieu. Ces bêtes sont l’objet du jugement divin et elles perdront leur souveraineté quand elles seront sous la domination de celui « qui ressemblait à un être humain » (Daniel 7.13,14) et des « saints du Très-Haut » (7.18,22,27)22. Le sujet majeur de ce chapitre est la déclaration selon laquelle Dieu interviendra en faveur de son peuple pour le libérer des régimes de ce monde qui l’oppriment. Mais ce qui n’est pas mentionné, c’est la façon dont le peuple de Dieu peut éviter de devenir lui-même une bête. Que doit faire l’Église pour éviter d’adopter les caractéristiques de ses oppresseurs ? Après tout, l’histoire contient de nombreux exemples de peuples opprimés qui sont devenus oppresseurs à leur tour.

    Cette réalité apparaît malheureusement dans les évangiles. Dans Matthieu, par exemple, les autorités juives s’associent avec la bête de Rome pour détruire le Fils de l’homme23. Selon la perspective du livre de Daniel, les saints se sont unis à l’une des bêtes et se sont retournés contre leur libérateur, le Fils de l’homme. Même l’Église est susceptible de faire ainsi volte-face. Dans le livre de l’Apocalypse, le peuple de Dieu, initialement représenté par une femme revêtue du soleil (12.1), est protégé dans le désert des attaques du dragon (12.13-17). Mais malheureusement, quand une femme apparaît une deuxième fois, elle est assise sur une bête écarlate, vêtue comme une prostituée, et elle boit le sang de ses enfants (17.6). Comme le peuple d’Israël dans le désert (Exode 32.1-25), le peuple de Dieu a apostasié24. Néanmoins, comme pour le peuple d’Israël, il subsiste un petit reste fidèle, les enfants de la femme, à savoir ceux « qui gardent les commandements de Dieu et qui portent le témoignage de Jésus » (12.17 ; voir 14.12)25.

    Ces exemples du Nouveau Testament nous rappellent que le fait de défendre les royaumes de ce monde, quand ils semblent justes et droits, peut en effet sembler parfois légitime, mais que ceux-ci ont souvent tendance à changer de nature et à devenir mauvais. Tous ceux qui s’engagent pour défendre leur patrie peuvent, sans le vouloir, en venir à persécuter leur prochain. Tous ceux qui sont engagés dans l’armée n’ont pas la possibilité de lever des objections de conscience sélectives et de choisir où et quand ils veulent combattre26. De fait, ils délèguent leur conscience à ceux qui leur donnent des ordres. Cet enseignement du Nouveau Testament selon lequel les royaumes bons en apparence peuvent adopter des qualités relatives aux bêtes mentionnées dans la Bible est probablement l’argument le plus fort encourageant les chrétiens à ne pas s’engager dans l’armée.

  6. Dieu élève et renverse les royaumes de ce monde.Certains passages du Nouveau Testament vont dans le sens d’une méfiance plus grande encore vis-à-vis des royaumes de ce monde. Le message principal de Daniel 2 est la déclaration selon laquelle Dieu « renverse les rois et […] établit les rois » (2.21). Cette affirmation est peut-être ambigüe dans le sens où on ne sait pas si elle s’applique aux rois de tous les temps, mais quoi qu’il en soit, elle souligne le fait que tous les royaumes sont soumis à la volonté souveraine de Dieu. Dans le Nouveau Testament, ceci apparaît notamment dans le désir de Dieu de juger son peuple pour son infidélité. Dans l’évangile de Matthieu, la mission de Jésus consiste à « sauver son peuple de ses péchés » (Matthieu 1.21). Dans ce contexte, la notion de « peuple » fait référence à Israël qui rassemble « les moutons perdus de la maison d’Israël » (10.6) et les bergers égoïstes qui gouvernaient depuis Jérusalem (16.21). Le salut qui est offert à Israël est lié à sa capacité à se repentir (voir 3.2,11 ; 4.17). L’incapacité à se repentir et le désir de continuer à persécuter Jésus et ses disciples laissera la maison vide et désolée (23.34-36,38). Même la nation d’Israël, qui forme le peuple de Dieu, est soumise au jugement divin.

    Que cela implique-t-il pour les chrétiens ? Cela signifie qu’ils ne doivent pas s’alarmer outre mesure lors de la montée ou de la chute des royaumes de ce monde, même s’il s’agit de leur propre royaume27. Les premiers chrétiens se considéraient comme une nouvelle race (Éphésiens 2.15), une nouvelle nation (1 Pierre 2.9). Ainsi tout désir de mourir pour la nation avait disparu. Les premiers chrétiens étaient désormais prêts à souffrir au nom du Christ et pour son royaume. Aucune nation ne peut s’arroger le droit divin d’auto-détermination et d’indépendance, ni celui de diriger d’autres nations. Jésus a conseillé à ses disciples juifs de fuir dans les montagnes plutôt que de défendre leur ville natale, Jérusalem, attaquée par les Gentils (Matthieu 24.16 ; voir Luc 21.20-24). Les chrétiens doivent avant tout faire preuve de loyauté vis-à-vis du royaume de Dieu, et ils doivent prendre au sérieux le fait que leur pays puisse être l’objet du jugement divin par l’intermédiaire de nations étrangères qui ne se soumettent pas au Dieu d’Israël28. Par conséquent, sans témoignage prophétique, il devient très difficile de déterminer si, en défendant son pays, un chrétien se bat pour ou contre la volonté souveraine de Dieu. En défendant son pays, on peut donc résister au jugement divin.

  7. Les royaumes de ce monde sont déchus par nature.Certains textes du Nouveau Testament sont bien plus négatifs au sujet des royaumes de ce monde29. C’est notamment le cas de certains textes de Jean comme le quatrième évangile, 1 Jean, 2 Jean et 3 Jean, et l’Apocalypse. Le texte de 1 Jean, par exemple, établit une limite très précise entre le monde et les enfants de Dieu. Le terme « monde » (kosmos) est généralement utilisé dans 1 Jean pour faire référence à la société dans son ensemble en dehors de l’Église, et le monde est donc décrit de façon très négative (voir 1 Jean 2.15-17 ; 3.1,13 ; 4.1). Il s’agit du champ d’action de « l’antichrist » (4.3,4) et il est sous la domination du « Mauvais » (5.19).

    Le problème d’une vision si contrastée du monde est que les chrétiens peuvent éprouver le désir de se retirer de ce monde perçu comme hostile et agressif. Cependant, cette vision permet de comprendre à quel point il peut être dangereux de s’engager pour les royaumes de ce monde, et renforce le désir de se placer sous la souveraineté du Fils de Dieu. Elle rappelle aux chrétiens ce qui doit être l’objet de leur loyauté et les met en garde contre le risque qu’ils courent en servant des autorités qui sont peut-être sous la domination de Satan.

CONCLUSION

Le Nouveau Testament ne définit pas des principes théologiques et politiques applicables à des situations dans lesquelles les chrétiens sont en position de gouverner, et il ne dit donc pas si les chrétiens ayant une fonction d’autorité doivent avoir recours à des moyens militaires pour se défendre ou pour défendre d’autres personnes – y compris des personnes n’étant pas chrétiennes – qui seraient attaquées ou persécutées30. Le Nouveau Testament n’aborde pas la notion de guerre juste31. C’est la raison pour laquelle les principes théologiques et politiques concernant le royaume d’Israël dans l’Ancien Testament ont si souvent été adoptés par le christianisme32. Se lamenter à ce sujet revient à se méprendre totalement sur la nature du Nouveau Testament. En effet, le Nouveau Testament n’est pas la Constitution des États-Unis de Dieu. Ce n’est pas non plus un traité abordant des questions éthiques et juridiques. Ce n’est pas un code législatif. Le Nouveau Testament est un témoignage inspiré mais sélectif des actions de Dieu menées par l’intermédiaire de Jésus et de l’œuvre constante du Saint-Esprit dans l’Église.

Néanmoins, nous trouvons des conseils dans le Nouveau Testament. Dans cet article, j’ai montré que la question du refus de combattre était étroitement liée à l’attitude des chrétiens vis-à-vis de l’État. Le Nouveau Testament propose différents points de vue dans ce domaine, allant d’un soutien prudent à un réalisme méfiant et même à une critique très vive. Ces différents points de vue doivent aider l’Église à prendre position. Tous les auteurs du Nouveau Testament montrent que, lorsqu’une personne se donne à Christ, elle fait preuve de loyauté avant tout vis-à-vis du royaume de Dieu. Je me suis attaché à souligner que, certes les autorités civiles ne sont pas monolithiques et peuvent agir pour le bien, mais qu’en raison de leur nature déchue, elles ont trop souvent tendance à devenir des bêtes persécutant les saints et sont donc soumises à la volonté de Dieu qui établit ou qui renverse les royaumes de ce monde.

Défendre son pays en cas d’attaque ne devrait donc pas être une réaction spontanée, car ces attaques peuvent être la manifestation du jugement divin. L’identité et la loyauté chrétiennes prédominent sur l’identité et la loyauté nationales. La réputation du royaume de Dieu est plus importante que la survie d’un pays. Le Nouveau Testament n’appelle jamais les chrétiens à mourir pour leur pays ; il les invite à être prêts à mourir pour le Christ. Quand un chrétien est persécuté au nom du Christ, celui-ci est invité à fuir et, le cas échéant, à se préparer à la mort plutôt que de résister activement. Ainsi, je pense que, par défaut, l’Église doit prôner le refus de s’engager dans l’armée.

Cedric Vine (titulaire d’un doctorat de l’université de Sheffield, au Royaume-Uni, est professeur de Nouveau Testament à la faculté adventiste de théologie d’Andrews, à Berrien Springs, dans le Michigan, aux États-Unis. Courriel : cvine@andrews.edu.

Citation recommandée

VINE Cedric, « L’armée et le Nouveau Testament : Les adventistes devraient-ils s’engager dans l’armée ? », Dialogue 31 (2019/3), p. 5-10

NOTES ET RÉFÉRENCES

  1. Concernant les différences de position sur le refus de combat- tre dans l’Église adventiste, voir par exemple Douglas Morgan, “Between Pacifism and Patriotism: Helping Students Think About Military Options”, The Journal of Adventist Education 65:5 (Summer 2003): 16-27 ; Ronald E. Osborn, “A Brief History of Seventh-day Adventists in Time of War” in The Peacemaking Remnant: Essays and Historical Documents, Douglas Morgan, ed. (Silver Spring, MD: Adventist Peace Fellowship, 2005), p. 71-77 ; George R. Knight, “The Great Disappearance: Adventist and Noncombatancy”, The Journal of Adventist Education 70:3 (February/March 2008), p. 11-14.
  2. Richard B. Hays, The Moral Vision of the New Testament: Community, Cross, New Creation: A Contemporary Introduction to New Testament Ethics (New York: HarperCollins, 1996), p. 336‒340 ; Jerome F. D. Creach, Violence in Scripture (Interpretation: Resources for the Use of Scripture in Research: Louisville, Ky.: Westminster John Knox Press, 2013), p. 222.
  3. Stephen Sykes, Power and Christian Theology (London: Continuum, 2006), p. 37, 38.
  4. C. H. Dodd, New Testament Studies (Manchester: Manchester University Press, 1953), p. 114. Ernst Käsemann explique que l’accent mis sur les fonctions de collecteur d’impôts, de force de l’ordre, de magistrat et dirigeant romain suggère que Paul ne pense pas en termes officiels ni en termes d’une « métaphysique de l’État ou d’une relation entre l’Église et l’État ». Ernst Käsemann, Commentary on Romans, Geoffrey W. Bromiley, trans. [Grand Rapids, MI.: Eerdmans, 1980], p. 354.
  5. Dodd, p. 134.
  6. Daniel L. Dreisbach, Reading the Bible With the Founding Fathers (Oxford: Oxford University Press, 2017), p. 109‒135.
  7. Robert Jewett, Romans: A Commentary (Hermeneia: A Critical and Historical Commentary on the Bible), 66 (Minneapolis: Fortress Press, 2007), 785. Cf. J. L. Houlden, Ethics and the New Testament in Understanding the Bible and Its World (London: T&T Clark, 2004), 81. Oliver O’Donovan argues that in Romans 13, Paul releases the state of many of its functions: “it strips down the role of government to the single task of judgment, and forbids human rule to pretend to sovereignty, the consummation of the community’s identity in the power of its ruler” (Oliver O’Donovan, The Ways of Judgment: The Bampton Lectures, 2003 [Grand Rapids, Mich.: Eerdmans, 2005], 4).
  8. Sauf mention contraire, tous les textes bibliques sont tirés de la Nouvelle Bible Segond.
  9. Dreisbach, p. 112.
  10. Andries Van Aarde, “Paul’s Version of ‒Turning the Other Cheek’: Rethinking Violence and Tolerance.” In Coping With Violence in the New Testament, Pieter G. R. de Villiers and Jan Willem van Henten, eds. (Leiden: Brill, 2012), p. 43‒67 (43).
  11. Tacite, Annals, 15:44.
  12. Sur la persécution des Juifs, voir Douglas R. A. Hare, The Theme of Jewish Persecution of Christians in the Gospel According to St. Matthew (Society for New Testament Studies Monograph Series 6; Cambridge: Cambridge University Press, 1967), p. 1‒79.
  13. Voir l’attitude de Joseph d’Arimathée dans Marc 15.42-47.
  14. Houlden suggère que le but était de montrer aux autorités que le christianisme n’était pas une menace. L’argument avancé est le fait que le livre des Actes était lu par les autorités (Houlden, p. 83).
  15. Adela Yarbro Collins, Mark: A Commentary (Hermeneia: A Critical and Historical Commentary on the Bible 62, Harold W. Attridge, ed. (Minneapolis: Fortress Press, 2007), p. 557.
  16. Voir la position de Metzger sur les variantes de 70 et 72 disciples. Il conclut qu’il est impossible de trancher la question. Bruce M. Metzger, “Seventy or Seventy-Two Disciples?” New Testament Studies 5:4 [July 1959]: p. 299‒306.
  17. Voir aussi les 70 personnes qui se sont rendues en Égypte avec Jacob (Deutéronome 10.22) et les 70 nations de Genèse 10. Keith J. Hacking, Signs and Wonders Then and Now: Miracle-Working, Commissioning, and Discipleship (Nottingham: Apollos, 2006), p. 190‒193.
  18. Pour les chiffres douze et soixante-dix dans un contexte administratif, voir Josèphe, J.W. 4:336 ; 4:341 ; Life p. 56‒58. Pour E. P. Sanders, le Sanhédrin était une institution composée de membres appartenant à l’élite de la société (E. P. Sanders, Judaism: Practice and Belief, 63 BCE – 66 CE [Harrisburg, PA: Trinity Press International, 1992], p. 472‒490).
  19. I. Howard Marshall, The Gospel of Luke: The New International Greek Testament Commentary on the Greek Text (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 1978), p. 816-817 ; François Bovon, Luke 3: A Commentary on the Gospel of Luke 19:28‒24:53 (Hermeneia 63C: Minneapolis: Fortress Press, 2012), p. 175, 176. Voir 2 Timothée 2.12 ; Apocalypse 2.26 et suivants ; 3.21.
  20. N. T. Wright, Jesus and the Victory of God (Christian Origins and the Question of God, Volume 2: Minneapolis: Fortress Press, 1997), p. 226‒229.
  21. Oliver O’Donovan, The Desire of the Nations: Rediscovering the Roots of Political Theology (Cambridge: Cambridge University Press, 1996), p. 30‒81.
  22. Pour les « saints » qui sont des êtres célestes, voir John J. Collins, Daniel: A Commentary on the Book of Daniel (Hermeneia 27: Minneapolis: Fortress Press, 1993), p. 313‒319. Pour les « saints » qui forment le peuple de Dieu, voir Jacques B. Doukhan, Secrets of Daniel: Wisdom and Dreams of a Jewish Prince in Exile (Hagerstown, MD: Review and Herald, 2000), p. 108.
  23. Voir Matthieu 26.63-68 ; 27.1,2 ; Marc 14.61-65 ; 15.1-15 ; Luc 22.66- 71 ; 23.6-12.
  24. Le peuple d’Israël est comparé à une prostituée dans Jérémie 4.30 ; Ézéchiel 16.15 ; Osée 4.11,12.
  25. Richard P. Lehmann, “The Remnant in the Book of Revelation.” In Toward a Theology of the Remnant, Ángel M. Rodríguez, ed. (Silver Spring, MD: Biblical Research Insitute, 2009), p. 85‒112 (104‒106).
  26. Michael Farrell, Modern Just War Theory: A Guide to Research (Illuminations: Guides to Research in Religion: Lanham, MD: Scarecrow Press, 2013), p. 22.
  27. Matthieu 16.24-26 ; 23.31-35 ; Marc 8.34-37 ; Luc 9.23-25 ; Jean 15.13 ; 16.2,3 ; 1 Thessaloniciens 2.13-16 ; 3.4 ; 1 Jean 3.16 ; Apocalypse 2.10.
  28. Josèphe pensait que Daniel annonçait la destruction de Jérusalem (Ant. 10.11.7).
  29. Richard Niebuhr parle d’une « opposition entre le Christ et la culture ». H. Richard Niebuhr, Christ and Culture [New York: Harper Torchbooks, 1956], p. 45‒82.
  30. L’exemple le plus proche que nous ayons est la destruction de Satan et de ses adeptes par le feu du ciel et l’avènement de la Nouvelle Jérusalem sur cette terre (voir Apocalypse 20.7 – 21.8).
  31. Pour des raisons justifiant la guerre, voir Farrell, Modern Just War Theory, p. 15‒17.
  32. O’Donovan, The Desire of the Nations, p. 21‒29.

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