Par Tobias H. Koch
Lorsqu’on m’a demandé de préparer une méditation pour un congrès de directeurs d’universités adventistes en Europe, j’ai réfléchi à ce qui pourrait changer le plus notre travail dans un proche avenir. Étant à l’avant-garde du changement, les établissements d’enseignement sont, du coup, au nombre des premières organisations à devoir faire face au développement rapide du secteur de l’intelligence artificielle (IA), laquelle a été qualifiée de « cinquième révolution industrielle ».1 Non seulement l’IA rend les connaissances existantes disponibles à tout moment et instantanément grâce à l’utilisation de moteurs de recherche comme Google ou d’encyclopédies comme Wikipédia, mais elle combine aussi les connaissances existantes provenant d’autres sources – livres, revues scientifiques, etc. – pour en faire de nouveaux textes intéressants. Mais qu’est-ce que tout ça implique ? Et comment allons-nous y faire face ?
Pour explorer cette question, voici ce que j’ai demandé au modèle de langage à grande échelle de l’IA ChatGPT : « Écris-moi une méditation sur le thème de la rédaction d’une méditation par l’intelligence artificielle. » Voici le résultat, traduit par DeepL de l’allemand à l’anglais (avec quelques « améliorations » éditoriales) [ici, de l’anglais au français] :
« Chers frères et sœurs,
« Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un sujet particulier : la possibilité pour l’intelligence artificielle (IA) de rédiger une méditation. À notre époque avancée, nous sommes entourés de technologie, et l’IA fait de plus en plus partie de notre vie quotidienne. Cependant, ne soyons pas alarmés par cette idée ! Regardons-la plutôt d’un point de vue spirituel. Lorsque nous pensons à l’IA pour la rédaction d’une méditation, de nouvelles possibilités s’ouvrent à nous. En effet, l’essence d’une méditation n’est pas dans les mots eux-mêmes, mais plutôt dans ce qu’ils véhiculent. Une méditation, c’est une occasion de se connecter au divin en soi, et à l’intérieur de la communauté dans son ensemble. Bien que l’IA soit capable de générer des textes, elle n’a pas la conscience et l’expérience spirituelle que nous avons en tant qu’êtres humains. Il est important de reconnaître cela et de l’apprécier. Car en fin de compte, ce sont nos cœurs qui sont touchés par Dieu et reçoivent le message d’amour et d’espérance.
« L’idée d’une méditation rédigée par l’IA nous rappelle que la technologie est un outil créé par nous, les êtres humains. Elle peut nous aider à organiser nos pensées, à partager des informations et à approfondir notre relation avec Dieu. Mais jamais elle ne pourra remplacer la relation personnelle et la foi que nous portons dans notre cœur. C’est pourquoi, avec un cœur ouvert et un esprit alerte, réjouissons-nous des possibilités offertes par la technologie, mais aussi cherchons en nous-mêmes les conseils de Dieu. L’IA peut nous inciter à découvrir de nouveaux modes d’expression, mais la source d’inspiration réside dans l’amour de Dieu en nous.
« C’est dans cet esprit que je vous invite à trouver l’équilibre béni entre technologie et spiritualité. Utilisons les outils qui nous sont donnés pour répandre la bonne nouvelle et pour nous encourager les uns les autres. Rassemblons-nous au sein de notre communauté pour nous renforcer mutuellement et grandir ensemble dans la foi.
« Puissent les bénédictions de Dieu reposer sur nous et nous accompagner dans notre voyage entre spiritualité et technologie ! Amen. »
Quel résultat surprenant ! En lisant ce texte créé par l’IA, quelques questions me sont venues à l’esprit, notamment les suivantes : Pourquoi l’IA a-t-elle répondu dans un langage du type méditation ou ecclésiastique ?
Cette « méditation » pourrait être donnée exactement dans ce style linguistique dans la plupart des églises chrétiennes – même si une partie de sa théologie sera considérée comme problématique par les Églises conservatrices. Qu’est-ce que cela signifie si l’IA répond à des demandes de méditation dans un « langage ecclésiastique » auquel les gens religieux sont habitués, ou encore dans un langage auquel les sociétés sécularisées ne sont aucunement familières ? Dans ce cas, les utilisateurs recevront probablement des textes de l’IA qui leur seront incompréhensibles, de la même manière que les sermons en chaire restent incompréhensibles pour les gens non religieux.
C’est ici qu’on peut voir qu’un texte généré par l’IA a ses limites : elle régurgite le langage typique des textes qu’elle évalue – textes disponibles sur Internet ou dans diverses bases de données. On n’y trouvera cependant pas de véritable innovation. Il est peu probable que l’IA sera bientôt capable d’écrire un texte rafraîchissant, novateur, et adapté à l’auditeur. Toutefois, cette donne pourrait bien changer si, par exemple, on demandait à l’IA de reprendre des paraboles bibliques dans le style d’un auteur favori.
Grâce à l’amélioration des requêtes, l’IA peut donner de meilleurs résultats. Est-ce à dire qu’après quelques années de formation par les utilisateurs, l’IA prendra en charge la rédaction de sermons et rendra les résultats disponibles à tout moment et en tout lieu ? Lorsque l’IA est utilisée pour rédiger des mémoires et des articles de recherche, quelles questions se posent en termes de contenu et d’éthique ? Quels domaines de compétence les chargés de cours, les enseignants, les pasteurs et les dirigeants devront-ils acquérir d’ici là ? Que doivent savoir les étudiants et les enseignants sur l’IA pour l’utiliser de manière productive et éthique ?
L’IA suivra toujours son algorithme ou le lien complexe et intime des différents algorithmes, et utilisera les informations les plus fréquentes dont elle dispose pour répondre à une question. Elle n’inclura pas les informations cachées derrière des murs payants ou non publiées sur Internet parce qu’elle n’a pas accès à ces sources. Je crains que cela n’entraîne tout discours scientifique ou général encore plus vers le « courant dominant ». Il est donc fort probable que ses suggestions de méditations consistent de plus en plus en des platitudes superficielles et génériques, sans profondeur ni contenu théologique, et qu’elles contiennent des théologies fallacieuses et des déclarations inexactes. Les points de vue et les théories ou hypothèses défendus par une minorité se retrouvant rarement dans les bases de données de l’IA, ils risquent d’être ignorés ou rejetés. Si on accorde une confiance excessive au fonctionnement mécanique de l’IA, cela pourrait conduire à un rétrécissement des connaissances et à une diminution de la pensée critique – en particulier pour les utilisateurs qui ne sont pas déjà bien versés dans le sujet de leur recherche. Enseignants et étudiants doivent tout particulièrement prêter attention à la fonction et au résultat des algorithmes, ainsi qu’aux paradigmes qu’ils appliquent. De multiples analyses de documents académiques générés par l’IA ont révélé un problème alarmant : ils contiennent de fausses informations, et un grand pourcentage des sources qu’ils citent n’existent pas ou contiennent des informations bibliographiques incorrectes.2 Dans le domaine de la religion, la probabilité que les documents générés par l’IA contiennent des concepts théologiques problématiques, voire hérétiques (en raison de l’amalgame non critique de millions de documents), est extrêmement élevée.
Alors que je réfléchissais à l’acquisition des compétences pratiques nécessaires pour vivre avec l’IA, j’ai lu un article du Financial Times sur l’avenir de l’IA. Voici une observation très intéressante de cet article : « Les patients ne veulent pas de médecins, ils veulent être en bonne santé. Les clients ne veulent pas d’avocats ; ils veulent avant tout éviter les pièges. »3
En tant qu’êtres spirituels cherchant à remplir le mandat évangélique dans une société de l’information, de quoi avons-nous besoin outre la compétence de l’utilisateur ? Quels sont les besoins des sécularisés avec lesquels nous entrons en contact ? Qu’en est-il de nos frères et sœurs de l’Église ? En résumant les propos d’Ellen G. White, je crois que ce dont nous avons besoin, c’est de passer par une véritable conversion et de nous préoccuper sincèrement des âmes perdues.4
En parlant du besoin de conversion, voici la première question qui me vient à l’esprit : Comment Jésus a-t-il converti ses premiers disciples ? Jean 1, à partir du verset 35, nous donne la réponse : « Le lendemain, Jean était encore là, avec deux de ses disciples ; et, ayant regardé Jésus qui passait, il dit : Voilà l’Agneau de Dieu. Les deux disciples l’entendirent prononcer ces paroles, et ils suivirent Jésus. Jésus se retourna, et voyant qu’ils le suivaient, il leur dit : Que cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Rabbi, ce qui signifie Maître, où demeures-tu ? Venez, leur dit-il, et voyez. Ils allèrent, et ils virent où il demeurait ; et ils restèrent auprès de lui ce jour-là. » (Jn 1.35-39)
Convertir les gens et faire en sorte qu’ils aient le soin de leurs semblables à cœur n’a apparemment pas grandchose à voir avec l’amélioration du contenu des sermons. Il s’agit plutôt de passer du temps ensemble – d’abord avec Jésus, puis avec ceux avec qui nous entrons en contact. De voir où ils habitent. De voir à quoi ils ressemblent, et de répondre à leurs besoins.
Qu’est-ce qui a eu un tel impact sur les gens lorsqu’ils ont fait une expérience personnelle avec Jésus ? Ellen G. White a écrit à ce sujet dans Les paraboles de Jésus :
« Puisque les scribes et les pharisiens se sentaient condamnés en présence d’un être aussi pur, comment les publicains et les gens de mauvaise vie pouvaient-ils être attirés par lui ?
« Ils ne se doutaient pas que la réponse à cette question se trouvait dans les paroles accusatrices et dédaigneuses qu’ils avaient prononcées : “Cet homme accueille des gens de mauvaise vie.” Ceux qui venaient à Jésus découvraient auprès de lui l’espoir d’être eux aussi retirés de l’abîme du péché. Alors que les pharisiens les méprisaient et les condamnaient, le Christ accueillait ces pécheurs comme des enfants de Dieu, égarés loin de la maison paternelle, mais présents dans le cœur du Père. Leur misère le poussait à les aimer encore davantage. »5
Parler de l’amour et de la compassion de Dieu aux personnes qui sont perdues, précaires, condamnées par les autres, dans le cadre d’une véritable fraternité, c’est ce que nous devons apprendre et montrer à nos camarades de classe, colocataires, amis et collègues. Aucune intelligence artificielle ni compétence de haut niveau en matière d’IA, aussi sophistiquée soit-elle, ne peut nous aider dans ce domaine. L’amour de Dieu et le Saint-Esprit sont là pour nous transformer et nous y aideront. En ce sens, je m’engage personnellement et vous invite à rechercher l’équilibre béni entre la technologie et la capacité de vivre une relation authentique avec d’autres pécheurs, pour leur montrer l’amour et la compassion de Dieu envers nous.
Tobias H. Koch Assesseur en droit, deuxième examen d’État en droit, Office des examens judiciaires de l’État du Rhénanie-Palatinat, à Coblence, en Allemagne – est avocat (deuxième examen d’État en droit, université de Mayence, en Allemagne) et chancelier de l’université adventiste Friedensau à Möckern, en Allemagne, où il enseigne aussi le droit du travail social et le droit ecclésiastique. Il est conseiller juridique des associations adventistes allemandes. Son courriel : tobias.koch@thh-friedensau.de.
Citation recommandée
Tobias H. Koch, « ChatGPT : « Écris-moi une méditation sur le thème de la rédaction d’une méditation par l’intelligence artificielle » », Dialogue 36 (2024/1), p. 18-21
NOTES ET RÉFÉRENCES
- Mohit Joshi, « Künstliche Intelligenz—die fünfte industrielle Revolution », https://www.bigdata-insider.de/kuenstliche-intelligenz-diefuenfte-industrielle-revolution-a-99d8610bed64f1047cb72a3138111 fec/, site consulté le 23 novembre 2023.
- Une étude qui a demandé à ChatGPT de créer 30 courts articles médicaux a révélé que « dans l’ensemble, 115 références ont été générées par ChatGPT, avec une moyenne de 3,8±1,1 par article. Parmi ces références, 47 pour cent étaient fabriquées, 46 pour cent étaient authentiques mais inexactes, et seulement 7 pour cent étaient authentiques et exactes », Mehul Bhattacharyya et al., Abstract: « High Rates of Fabricated and Inaccurate References in ChatGPT-generated Medical Content », Cureus 15.5, mai 2023, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC10277170/. Un chercheur qui a posé des questions sur des sujets géographiques d’actualité à ChatGPT a découvert qu’aucune des nombreuses références qu’il citait n’était authentique, et que certaines des informations contenues dans ses réponses étaient fausses. Au nombre des erreurs, il y avait la citation d’idées inexistantes dans les sources réelles, la création de fausses sources ne pouvant pas être trouvées lors d’une recherche intensive sur le Web, et la référence à des articles qui n’avaient pas été écrits par les auteurs auxquels ils étaient attribués ou qui n’avaient pas été imprimés dans les revues citées – Terence Day, « A Preliminary Investigation of Fake Peer-reviewed Citations and References Generated by ChatGPT », The Professional Geographer, 2023, n° 75.6, p. 1 024-1 027, https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00330124.2023.2190373.
- Richard Susskind et Daniel Susskind, « Generative AI Will Upend the Professions », Financial Times, June 18 juin 2023, p. 15, https://www.ft.com/content/96a1877f-0bbb-48c7-be8f-4fed437810e8.
- Ellen G. White, Évangéliser, p. 146 ; Testimonies for the Church, Mountain View, Calif., Pacific Press, 1948, vol. 9, p. 140 ; et Ellen G. White, « Faithful and Slothful Servants », The Advent Review and Sabbath Herald, 12 janvier 1886, par. 7.
- Ellen G. White, Les paraboles de Jésus, p. 155, 156.
LECTURE COMPLÉMENTAIRERelations médias et communications stratégiques de l’université d’État de l’Arizona, « Arizona State University Collaboration With OpenAI Charts the Future of AI in Higher Education », 18 janvier 2024, https://newsroom.asu.edu/press-release/arizona-state-universitycollaboration-openai-charts-future-ai-higher-education.
Benj Edwards, « Why ChatGPT and Bing Chat Are So Good at Making Things Up: A Look Inside the Hallucinating Artificial Minds of the Famous Text Prediction Bots », Ars Technica, 6 avril 2023, https://arstechnica.com/information-technology/2023/04/why-ai-chatbots-are-the-ultimate-bs-machinesand-how-people-hope-to-fix-them/.
Benj Edwards, « Why AI Detectors Think the US Constitution Was Written by AI », Ars Technica, 14 juillet 2023, https://arstechnica.com/information-technology/2023/07/whyai-detectors-think-the-us-constitution-was-written-by-ai/.
Clare Duffy et David Goldman, « The New York Times Sues OpenAI and Microsoft for Copyright Infringement », CNN, mise à jour le 27 décembre 2023, https://www.cnn.com/2023/12/27/tech/new-york-times-suesopenai-microsoft/index.html.
David P. Harris et Fred Armstrong, « L’IA GÉNÉRATIVE DANS L’ÉDUCATION ADVENTISTE : possibilités et préoccupations éthiques, Revue d’éducation adventiste, 85.2, 2023, https://www.journalofadventisteducation.org/fr/2023.85.2.2#:~:text=Les%20promesses%20 de%20l’IA%20g%C3%A9n%C3%A9rative&text=fournir%20aux%20%C3%A9tudiants%20des%20 possibilit%C3%A9s,un%20environnement%20de%20 tutorat%20personnalis%C3%A9.
Lorin Koch, « ChatGPT dans la salle de classe : recommandations d’utilisation, limites et expériences des élèves et des enseignants », Revue d’éducation adventiste, 85.3, 2023, 4-10, https://www.journalofadventisteducation.org/2023.85.3.2.
Samuel R. Bowman, « Eight Things to Know About Large Language Models », manuscrit non publié, avril 2023, https://arxiv.org/pdf/2304.00612.pdf.